Aux sources de Renault E-TECH

C’est fort de son expertise du véhicule électrique et de son expérience en Formule 1, et en s’appuyant sur des équipes d’ingénierie, de développement et de contrôle enthousiastes et passionnées, que Renault a développé sa motorisation hybride innovante E-TECH. Proposée en version « full hybride » sur Clio et en version « full hybride rechargeable » sur Nouveau Captur et Nouvelle Mégane, elle a été inventée et mise au point de manière à la fois inhabituelle et très inspirante. Découvrez le premier épisode de cette histoire étonnante où tout commence par une maquette réalisée… en LEGO.
DES LEGO ET DU CULOT
Nous sommes en décembre 2010. Noël approche et Nicolas Fremau commande de nombreuses boîtes et pièces de LEGO sur Internet. De futurs cadeaux pour ses enfants ? Pas seulement… Celui qui, à l’époque, est Expert Architecture boîtes de vitesse à la Direction de l’ingénierie de Renault a une idée derrière la tête : mettre à profit ses congés pour réaliser à l’échelle des petites briques multicolores en plastique un prototype de transmission innovante dédiée à une future motorisation hybride.

A l’époque, Renault se lance dans le véhicule électrique mais cherche dans le même temps à développer une technologie d’électrification alternative, qui permettra à de nombreux clients d’effectuer une transition douce vers le 100% électrique. Plusieurs solutions techniques sont envisagées mais il faut proposer à la direction de l’entreprise LA solution hybride idéale qui réponde au cahier des charges demandé : accessible, légère, adaptée à des véhicules de tous gabarits et qui permette de rouler au moins 50 kilomètres en tout électrique. De l’hybridation efficace et pour tous en somme.

Nicolas Fremau en est convaincu: cela passe par la nécessité de considérer le moteur électrique comme le moteur principal, celui qui assurera le démarrage du véhicule. Le moteur thermique viendra ensuite en renfort pour apporter de la puissance aux roues sur les longues durées. Et quelle transmission entre les deux ? L’obligation est de faire simple, compact et léger. Expert en la matière, Nicolas Fremau imagine une solution radicale : se passer d’embrayage et même de synchroniseurs de boîte. Il existe une technologie qui permet cela, celle des crabots, utilisée notamment en sport automobile. C’est aussi une « spécialité » Renault puisque c’est en installant une boîte à crabots en prise directe sur le moteur de sa Type A qu’en 1898 Louis Renault réussit à gravir l’abrupte rue Lepic à Montmartre, lançant l’aventure commerciale de la marque.

« Eurêka » peut se dire alors Nicolas Fremau, mais encore faut-il réussir à modéliser cette transmission qui pour le moment n’existe que dans sa tête.

EMBOÎTER, PERCER, COLLER
Voilà donc le but de ses congés: créer avec des LEGO ce fameux système de transmission simplifiée à crabots, sans embrayage. Il aura trois rapports afin d’être capable de gérer plusieurs modes de fonctionnement des moteurs entre eux. Pour le coup, il ne faut pas seulement emboîter les briquettes entre elles. Il faut assembler les différents axes et anneaux de transmission, coller et percer pour les faire tenir dans un berceau, motoriser l’ensemble, etc. Un vrai travail d’ingénierie préparatoire à celui qui allait être réalisé ensuite dans les ateliers du Technocentre et de Lardy et qui allait aboutir au dépôt de plus de 150 brevets autour de la motorisation hybride E-TECH.

Vidéo Maquette motorisée E-TECH en Lego:
https://www.youtube.com/watch?v=osjIlpP64wM&feature=emb_logo

«Le démarrage d’un projet d’innovation est toujours un moment compliqué ! Comment faire pour sentir si une idée va vraiment marcher ? Pour cela il n’y a pas de recette déjà écrite. Il faut d’abord comprendre, à chaque pas, s’il y a un bug ou si ça a des chances de fonctionner ! Mais surtout, il faut trouver la manière d’aller au-delà des petits dessins fait sur un papier, un peu comme dans les publicités Guy Degrenne. Alors pour matérialiser ce système, j’ai eu l’idée de cette petite maquette LEGO, d’abord pour m’aider moi dans la compréhension de ce qu’il fallait faire. Après une vingtaine d’heures de ‘travail’ sous l’œil un peu étonné de mon fils, la maquette était née.»

SI ON PEUT LE FAIRE EN LEGO…
Avec sa maquette motorisée en LEGO, Nicolas Fremau peut tester « en live » les différents modes de fonctionnement possibles entre les moteurs. Mieux, il en découvre de nouveaux auxquels il n’avait pas pensé lors de son analyse théorique préalable. Voilà qui renforce sa conviction d’être sur le bon chemin. Mais il ne pouvait en être sûr tout seul.

Nicolas Fremau s’adresse alors à plusieurs personnes de son entourage professionnel: Ahmed Ketfi-Cherif, spécialiste du contrôle, pour vérifier que les transitions entre les différents mode étaient possibles avec de simples crabots; Antoine Vignon, spécialiste en conception de boîtes de vitesses, pour vérifier que l’on pourrait bien faire un dessin industriel de ce nouveau système; Sid Ali Randi, spécialiste des moteurs électriques, pour vérifier qu’il saurait adapter un moteur à cette transmission. Face à cette demande surprenante, toutes ces «pointures» doivent prendre quelques jours de réflexion. Il leur faut étudier les schémas, analyser la maquette, écouter les explications de Nicolas. Mais tous les trois finissent par lui dire «Oui, c’est possible !».

Avec sa maquette en LEGO et son schéma de fonctionnement désormais validé, Nicolas Fremau a sans doute mis au point le prototype le moins cher de l’histoire de Renault. Un prototype baptisé LocoDiscoBox au moins aussi surprenant et inattendu que la solution technique était innovante. Qu’allaient en dire les dirigeants à qui cette maquette allait être présentée, Rémi Bastien et Gérard Detourbet (décédé en 2019), le «papa» de la gamme Dacia qui s’y connaissait en solutions simplifiées et à bas coût ? A l’époque Directeur de gamme M0, il répétait souvent en réunion «Cessez d'ajouter des éléments et des coûts, pensez plutôt à supprimer, remplacer ou simplifier!». N’empêche, le pari était hautement risqué.

«Le jour où j’ai amené la maquette à Remi Bastien et Gérard Detourbet, je ne savais pas comment ils réagiraient. Mais Renault a toujours été une entreprise très ouverte, alors j’ai tenté ma chance à la fin d’une réunion projet. Pari gagné, ils ont dit banco! Gérard Detourbet a même eu cette réflexion : « Si on peut le faire en LEGO, c’est que ça marche ! » Mais ce feu vert n’avait rien d’un cadeau. Il a fallu prendre l’engagement de donner vie à ce concept dans une voiture qui roule en 14 mois seulement!»

Après cet accord inespéré, la première initiative a été de contacter le service juridique de Renault en misant sur sa réactivité pour protéger cette transmission inédite avec un premier brevet. Ce qui fut fait dans un délai très court. Soulagement ! Mais pour Nicolas Fremau, Antoine Vignon, Ahmed Ketfi-Cherif, Sid Ali Randi et une petite équipe de passionnés engagés sur la voie de l’hybride au sein de l’ingénierie Renault, le plus dur commençait.

EOLAB, UN DEMONSTRATEUR QUI TOMBE A PIC
Petit bond dans le temps pour atterrir, quelques années après la « mise au point » de la maquette LEGO, au Mondial de Paris 2014. Renault y dévoile en première mondiale la 5e génération d’Espace, mais aussi avec EOLAB sa vision de la voiture ultrasobre de demain. Sous le capot de ce démonstrateur roulant qui affiche une consommation record de 1L/100 km, on trouve une motorisation hybride rechargeable. Elle est composée d’un moteur 3 cylindres essence, d’un moteur électrique et… d’une transmission innovante sans embrayage à trois rapports : deux liés au moteur électrique et le troisième au moteur thermique. Ces trois rapports autorisent neuf combinaisons entre les tractions thermique et électrique d’EOLAB. Ça ne vous rappelle rien?

Il s’agit exactement de la transmission imaginée quatre ans auparavant par Nicolas Fremau sur ses LEGO ! Entretemps, il a de nouveau fallu faire appel à l’ingéniosité des équipes. Ne serait-ce que pour construire le premier prototype -réel celui-là- de cette LocoDiscoBox appelée à devenir le cœur de la future motorisation hybride E-TECH.

Un travail collaboratif dont il subsiste quelques souvenirs comme cette vidéo de mise au point et qui aboutira à la présentation d’une Dacia à moteur hybride « Z.E. on demand » à l’occasion des Innov’Days 2012 -le délai de 14 mois demandé par les dirigeants de l’époque avait été respecté.

Vidéo prototype de transmission pour LocoDiscoBox:
https://www.youtube.com/watch?v=p3t0nIHh-VM&feature=emb_logo

UNE RENCONTRE INÉVITABLE
A la même époque, une autre équipe d’ingénierie dirigée par Laurent Taupin travaille sur un prototype de véhicule ultra basse consommation baptisé EOLAB. Trois leviers sont actionnés pour réussir le pari de passer sous la barre des 2 litres/100 km, objectif fixé aux constructeurs par le gouvernement de l’époque : l’allègement de la plateforme et de la caisse du véhicule, son aérodynamisme très poussé et une chaîne de traction la plus économe possible.

«L’objectif était chiffré : faire perdre 400 kilos à un véhicule citadin, de la taille d’une Clio, soit 4 mètres de long. Mais il était subordonné à l’obligation de le faire sans surcoût et sans diminuer les prestations offertes aux clients par le véhicule. Avec son pavillon abaissé et sa chute de toit prononcée, EOLAB nous a obligé à revoir la position des passagers : plus bas, plus avancés. Il a fallu également abaisser le point bas du pare-brise, pour conserver une bonne visibilité. De fait, il y a eu une véritable ‘crise du logement’ sous le capot, avec un compartiment moteur au volume diminué.»

Et pas seulement le volume. Les longerons resserrés de la plateforme d’EOLAB limitaient la largeur disponible pour le groupe motopropulseur. Aucun moteur hybride avec embrayage disponible à l’époque ne rentrait correctement. Aucun sauf… le moteur «Z.E. on demand» qui correspondait parfaitement au cahier des charges : il utilisait un moteur thermique de Twingo (H4BT, ou TCe 90) incliné de 49° vers l’arrière et donc plus facile à insérer dans le berceau d’EOLAB, ainsi que la fameuse LocoDiscoBox avec sa boîte à crabots sans embrayage à 3 rapports qui améliorait sa compacité. Non seulement ses dimensions correspondaient au besoin, mais il cochait en sus d’autres cases importantes: simple, il garantissait la fiabilité du prototype EOLAB ; léger, il ne le surchargerait pas inutilement ; donnant la priorité à l’électrique, il minimisait les besoins en carburant fossile à l’usage. Enfin, avec une batterie placée à l’arrière de la plateforme, cela permettait d’abaisser et recentrer le centre de gravité du prototype EOLAB, au bénéfice de la sécurité et des sensations de conduite.

Vidéo de présentation
https://youtu.be/MvH1bQZtkSU

«L’association EOLAB-Z.E. on demand est vite devenue une évidence tellement la complémentarité entre la recherche d’allègement d’un véhicule et la nécessité de l’appliquer également au groupe motopropulseur via une technologie innovante était nécessaire pour aller au bout du projet. Nous avions là deux façons complémentaires de faire du Renault, c’est-à-dire de rechercher de la frugalité astucieuse et surtout, pour tous. Il fallait que cette voiture trouve son moteur et que ce moteur trouve sa voiture. La confluence s’est opérée au début de l’année 2013.»

NUITS BLANCHES ET SUEURS FROIDES
Démarre alors le temps de la mise au point, avec en ligne de mire le Mondial de l’automobile à l’automne 2014. A Lardy côté moteur, à Aubevoye côté voiture, les équipes s’activent. Les designers se rapprochent des aérodynamiciens, les ingénieurs en mécanique font cause commune avec les spécialistes des matériaux, les motoristes se mettent en quête de la batterie la mieux adaptée. Tous avaient un objectif commun, fixé par Laurent Taupin: la réduction des émissions de CO2, ennemi commun de tous les métiers engagés sur le projet.

Tout ne fut pas facile, loin de là. La fiabilité aujourd’hui garantie de la motorisation E-TECH n’était pas encore éprouvée et son fonctionnement était parfois chaotique. Il fallut donc suer, trimer, veiller, inventer, réinventer des mois durant, et notamment durant l’été 2014, pour réussir à faire fonctionner EOLAB et sa motorisation inédite. Laurent Taupin et ses équipes ont passé quelques nuits blanches et ressenti moult sueurs froides au cours d’une période parfois propice au découragement. Mais l’aventure humaine qu’ils avaient construit et qu’ils étaient en train de vivre ne pouvait déboucher que sur la réussite.

«La difficulté principale résidait dans les passages de rapport, qui devaient se faire sans à-coups ni ‘plat de couple’ malgré l’absence d’embrayage. Or là, on n’y était pas du tout, avec notamment un temps creux très gênant qui se faisait ressentir entre le 2e et le 3e rapport si on conservait le pied sur l’accélérateur. Ajoutez-y un horrible sirènement à chaque passage de crête car les crabots n’étaient pas usinés de la bonne manière. Les sensations n’étaient pas au rendez-vous et le prototype passait beaucoup de temps à se faire ramener par la dépanneuse. On peut le dire aujourd’hui mais à quelques heures de faire essayer notre prototype EOLAB aux journalistes à Mortefontaine, en marge du Mondial de l’automobile, nous ne savions pas du tout si tout allait bien se dérouler.»

Le pilote-essayeur maison Laurent Hurgon ayant cependant réussi à pousser le véhicule dans ses retranchements, il y avait tout de même de bonnes chances pour que les essais se déroulent sans accroc. Ce qui fut le cas, les journalistes se montrant séduits par un prototype qu’ils pouvaient tester réellement et qui tenait ses promesses : 1 litre/100 km sans négliger le dynamisme (9,2 secondes pour le 0-100 km/h) et la tenue de route.

La motorisation E-TECH disposait alors non seulement de bases solides, mais elle avait prouvé sur la route tout son intérêt. Il fallait maintenant optimiser son fonctionnement pour l’amener vers des véhicules de série.

F1: UNE HISTOIRE D’ENERGIE ET DE MANAGEMENT
A la même période, dans un monde pas si parallèle, la F1 se prépare à la révolution de ses moteurs : fini le V8 atmosphérique ; la saison 2014 inaugure l’ère du V6 turbo hybride à double système de récupération d’énergie. Evidemment, Renault est de la partie!

Présente depuis 1977 dans la discipline, la marque y a toujours joué un rôle important grâce notamment à des choix technologiques ambitieux et avant-gardistes : premier moteur turbocompressé (1977), rappel pneumatique des soupapes (1986), distribution par engrenages et par pignons (années 90), injection directe (1995), etc. Des choix gagnants qui lui ont permis de remporter pas moins de 12 titres «constructeurs» (en tant qu’écurie à part entière ou en tant que motoriste) et 11 titres «pilotes». En 2014, au moment du passage à la motorisation V6 hybride, Renault sort de 4 doublés «constructeurs et pilotes» avec Red Bull et Sebastian Vettel!

L’EXPÉRIENCE DU KERS
Cette révolution de l’hybride en Formule 1 avait été initiée dès 2009 avec l’apparition du KERS (Kinetic Energy Recovery System, ou Système de récupération d’énergie cinétique). Fonctionnant initialement avec un volant d’inertie, ce système permettant de récupérer l’énergie du freinage pour la restituer à la demande sous forme de puissance passe en 2011 à des batteries, semblables à celles utilisées par les véhicules électriques et hybrides de série.

A l’époque, Renault cède les parts de son écurie Renault F1 Team à Genii Capital qui engage des Lotus Renault GP dans le championnat. Il reste motoriste de l’écurie, tout en motorisant également Red Bull (future championne du monde) et Lotus. Autant dire que personne ne chômait à Viry-Châtillon, le «temple» des activités moteur de Renault Sport Racing. Nicolas Espesson, qui était alors Ingénieur banc d’essai, se souvient des débuts de l’hybridation en F1 ainsi que des passerelles créées entre les équipes d’ingénierie.

«Nous n’avons pas attendu le développement de la motorisation hybride E-TECH pour travailler sur l’électrification des moteurs. Dès 2011, des ingénieurs Renault spécialisés dans l’électrique sont venus en F1 dans le but d’aider au développement de la future motorisation V6 hybride. Mais dans l’équipe, certains s’étaient déjà spécialisés dans l’électrification en travaillant sur le KERS. Sans oublier que nos bancs d’essai pour le KERS ont également servi à valider le moteur électrique de Twizy. C’est d’ailleurs dans le cadre de cette relation que le concept Twizy Renault Sport F1 de 2013 a été développé.»

L’ENERGY MANAGEMENT AU CŒUR DU SYSTÈME
Les ingénieurs motoristes de Formule 1 étaient donc divisés en deux catégories: d’un côté les «thermiques» et de l’autre les «électriques». Mais une troisième catégorie est rapidement apparue pour faire le lien entre elles, celle des spécialistes de « l’Energy management ». Leur rôle : définir quand et dans quelle proportion la monoplace utilise les différentes sources d’énergie disponible. Car à l’époque du KERS, les 60 kW (80 ch) d’apport électrique étaient gérés manuellement par le pilote, qui les utilisait essentiellement comme boost temporaire, pour effectuer un dépassement par exemple. Avec le nouveau V6 hybride et ses deux systèmes de récupération d’énergie (MGU-K pour la récupération au freinage, MGU-H pour la récupération à l’échappement), cette gestion s’est automatisée pour plus d’efficacité.

«C’était quelque chose de vraiment nouveau, qui faisait appel au big data, au data learning et même à l’intelligence artificielle. On avait donc un logiciel qui était au cœur de la stratégie de gestion de l’énergie, le nerf de la guerre de ces nouvelles motorisations hybrides. Mais aussi évolué soit-il, ce logiciel devait rester simple de conception pour faciliter la maintenance et le débogage et surtout rester fiable. Et on retrouve exactement la même chose aujourd’hui dans les modèles E-TECH Hybrid de série, où l’intelligence de gestion de l’énergie vient des calculateurs électroniques.»

Réduire la consommation, améliorer le rendement énergétique: en F1 comme sur la route, la volonté des motoristes est la même. Voilà pourquoi les passerelles s’opèrent facilement et qu’elles sont très efficaces. Des ingénieurs travaillant sur la motorisation Z.E. on demand sont donc venus grossir les rangs de Renault Sport Racing, avant de retourner quelques années plus tard au développement des modèles de série E-TECH Hybrid. Et ils ne sont pas revenus qu’avec de nouvelles idées et compétences techniques.

«En travaillant sur la F1 chez Renault Sport Racing, ces ingénieurs ont découvert de nouvelles formes de management, beaucoup plus agiles que ce qu’ils connaissaient chez Renault. Il faut dire qu’en F1, les temps de développement sont plus courts et qu’en cas de problème, il faut obligatoirement prendre des décisions très rapidement. Ils ont pu appliquer ensuite ces méthodes lorsqu’ils sont revenus travailler au développement des motorisations E-TECH Hybrid de série. Ça aussi, ça a contribué au résultat qu’on connaît aujourd’hui.»

La majorité des pièces du puzzle étaient désormais en place. Il ne restait qu’à les assembler et fignoler le travail. La partie la plus facile ? Pas sûr…

DE LOCODISCOBOX A E-TECH
Répondant au cahier des charges demandé et ayant fait ses premières preuves avec le prototype EOLAB, l’innovante LocoDiscoBox doit désormais réussir son adaptation « produit » pour se retrouver sous le capot de modèles de série du Groupe Renault. A l’origine d’ailleurs, elle a été pensée dans le cadre du programme « Entry » basé sur la plateforme M0 et supervisé par Gérard Detourbet -celui qui a dit « oui » lorsque la maquette en LEGO lui a été présentée.

Les premières présentations de la motorisation hybride rechargeable Z.E. on demand devant les directeurs et exécutifs de Renault côté « produit » commencent à peine que les équipes d’ingénierie devinent qu’elles ne sont pas au bout de leurs peines. Très vite, il n’est plus question d’Entry et de M0, mais de M1, c’est-à-dire les modèles polyvalents et compacts, dont la Mégane. C’est d’ailleurs sur une Mégane que seront effectuées les références de calibration de la future motorisation E-TECH. Il fallait donc faire évoluer la LocoDiscoBox pour la rendre compatible avec ce modèle et les prestations attendues de sa part. Deux ressorts seront activés pour deux champs d’actions différents : l’ajout d’un second moteur électrique pour les basses vitesses et l’ajout d’un quatrième rapport de boîte de vitesses en thermique pour les hautes vitesses.

«Il y avait ce problème de rupture de couple entre les rapports 1 et 2, à basse vitesse donc. La solution passait selon nous par l’ajout d’un petit moteur électrique qui remplace les synchroniseurs d’une boîte de vitesses traditionnelle pour faciliter le crabotage et pour lisser l’accélération grâce à son apport de couple immédiat. Autre point chaud : le contrôle de fonctionnement des crabots. Ce n’était pas évident car nous avions des crabots plats du type de ceux utilisés en Formule 1 et non pas des crabots en « toit ». Ces crabots plats fonctionnent mieux dans le temps, sont à priori plus fiables. Mais ils présentent aussi l’inconvénient de risquer de moins bien s’emboîter. Il fallait donc faire valider cette idée à des spécialistes du contrôle.», Jean-Marie Vespasien, Responsable mise au point E-TECH.

HSG: LE CHOIX MALIN
C’est là qu’intervient Ahmed Ketfi-Cherif, qui avait déjà supervisé la mise au point de la LocoDiscoBox première version. Non seulement il valide l’idée du petit moteur électrique supplémentaire pour améliorer le fonctionnement du système à crabots, mais il lui trouve d’autres avantages.

«Le moteur de type HSG (High-voltage Starter Generator, ou démarreur haute tension) que nous avions choisi permettait par exemple au système de fonctionner en « hybride série » sur les basses vitesses pour plus de confort et de souplesse. Sans besoin de beaucoup d’énergie stockée, ce qui permettait de diminuer la capacité de la batterie et de supprimer la prise de recharge. La future motorisation E-TECH, à la base hybride rechargeable, venait de se dédoubler en version hybride « simple ». Les possibilités d’utilisation dans la gamme étaient multipliées !», Ahmed Ketfi-Cherif, Responsable contrôle E-TECH.

NISSAN ENTRE DANS LA DANSE
En fait, l’idée d’utiliser un second moteur électrique de type HSG fournissait la solution à une mine de problèmes. Il renforçait par exemple la régulation de la charge de la batterie, la mettant à l’abri de la panne sèche et offrait une gestion d’énergie plus pertinente ainsi qu’un fonctionnement global du système qui faisait se rapprocher cette transmission d’une transmission automatique habituelle.

Voilà qui n’était pas pour déplaire à Nissan, partenaire de Renault au sein de l’Alliance et qui avait son mot à dire dans la mise au point et l’adaptation produit de cette future motorisation E-TECH, sachant qu’elle allait être susceptible d’être utilisée dans ses modèles et ses marchés. Les Japonais étaient particulièrement attentifs à l’agrément de conduite et s’ils appréciaient les bienfaits du second moteur électrique, il fallait aller encore plus loin. Ce sera l’idée d’ajouter un quatrième rapport à la boîte à crabots, pour améliorer le ressenti dans les hautes vitesses.

«A la base, la transmission de la LocoDiscoBox comptait trois rapports, pour trois situations de conduite bien définies: ville, route et autoroute. L’ajout du moteur HSG a permis d’améliorer le ressenti et de diminuer la consommation sur le rapport «ville». Il fallait faire de même tout en haut de la chaîne et l’idée qui nous est venue est d’ajouter un quatrième rapport. Ce dernier autorise la déconnexion totale du moteur électrique principal, lorsqu’il n’est pas utilisé -typiquement sur autoroute. Ce qui permet de se «libérer» de sa traînée et d’économiser environ 1 kW, soit 3 à 4% de la consommation. L’idée était de ne garder en connectés à la roue que les composants nécessaires à la traction et de ne pas faire avec un gros moteur électrique ce qu’on pouvait faire avec un petit moteur. Ainsi, c’est le petit HSG qui se chargeait de la production d’électricité pour les composants, et non le gros moteur électrique principal.» Antoine Vignon

Le dernier gain s’est opéré sur les petits moteurs d’actionnement de la boîte de vitesses, permettant d’emboîter les crabots lors des passages de rapport. Avec des crabots plats et le système d’assistance par simple ressort qui remplaçait les synchroniseurs, les ingénieurs ont pu utiliser de petits moteurs de moins de 100 watts, contre le double ou le triple habituellement. Voilà qui participait aussi à la réduction de l’encombrement de cette transmission.

Cette fois, l’architecture de la future motorisation E-TECH était clairement définie. Mais il restait encore deux choix à faire pour ses composants: le moteur électrique principal et le moteur thermique.

TECHNOLOGIE RENAULT, COMPOSANTS ALLIANCE
Jusqu’à présent, la motorisation prototype LocoDiscoBox utilisait un moteur électrique discoïde -d’où son nom. Mais pour Antoine Vignon, ce n’était pas transposable à une industrialisation en grande série à cause de certains composants en matériaux composites. Il fallait également faire un choix entre un moteur à rotor bobiné (comme celui utilisé dans la ZOE) et un moteur à aimants permanents. Si le premier présentait l’avantage de pouvoir s’adapter à toutes les situations, il ne répondait pas aux critères de compacité qui restaient primordiaux dans la définition de la motorisation E-TECH. Il fallait donc dénicher un moteur synchrone à aimants permanents… ce qui sera fait chez Nissan. Pour le moteur thermique, c’est l’Alliance qui allait être mise à contribution.

«Afin de répartir les ressources de développement et de production dans l’Alliance, nous avons privilégié l’utilisation de composants existant chez Nissan plutôt que de les acheter. Cela a orienté le choix du moteur électrique principal mais aussi et surtout du moteur thermique. Le moteur H4BT utilisé au début de l’aventure était un peu ancien et il manquait d’efficacité côté consommation. Nous avions aussi comme objectif de respecter les futures normes de dépollution Euro 6d-FULL. Le seul candidat était le moteur HR15Gen3 (un 4 cylindres essence atmosphérique utilisé par Nissan notamment, pour le marché Chinois et Coréen) dont la cylindrée de 1,5 litre correspondait exactement au besoin défini. Compact, offrant des performances correctes et un rendement satisfaisant, c’était le meilleur candidat prédisposé dans la banque d’organes de l’Alliance. Il a été adopté en 2015 !» Pascal Caumon, chef de projet mécanique E-TECH

Pour aller plus loin que le simple respect des normes antipollution et avoir la possibilité d’ajouter un filtre à particules sur le moteur thermique, il a été décidé en 2016 d’échanger le moteur HR15 contre un autre 4 cylindres atmosphérique issu de la banque d’organes de l’Alliance, le HR16. Cela a demandé un gros travail d’adaptation (cartographie moteur, modification de certaines pièces comme les pistons, les bielles et le vilebrequin sur les voitures d’essai) mais les résultats se sont vite montrés satisfaisants.

S’il n’est pas parfait, ce moteur HR16 représente un bon compromis et permet à l’innovante transmission à crabots de donner son plein potentiel. C’est un moteur atmosphérique mais l’apport des moteurs électriques compense l’absence de turbocompresseur pour les bas régimes, tandis qu’il est majoritairement utilisé sur sa vitesse de rendement optimum, notamment lorsqu’il fonctionne comme générateur pour recharger la batterie. Il répond aussi à la recherche d’optimisation des coûts pour une motorisation E-TECH destinée à des véhicules cœur de gamme. Avec lui, toutes les pièces du puzzle étaient assemblées, la motorisation E-TECH telle que nous la connaissons aujourd’hui était née !

CONCLUSION
Après près de 10 ans de développement, la motorisation hybride E-TECH est désormais disponible dans la gamme Renault. Elle est l’aboutissement d’une aventure un peu irréelle, née d’une maquette en LEGO et de l’ingéniosité et la persévérance d’une équipe de passionnés qui n’a jamais baissé les bras face aux difficultés. Une équipe qui a su fédérer autour d’elle et créer une émulation qui a petit à petit gagné toute l’entreprise. Il le fallait pour réussir ce pari hautement risqué.

«Au début du projet beaucoup nous avaient dit: « ça ne marchera jamais ! ». C’est vrai que c’était un pari très risqué, notamment en voulant remplacer la synchronisation de la boîte de vitesses par un moteur électrique. Mais petit à petit, c’est toute l’entreprise qui a fini par s’approprier l’objet : des équipes Produit, projets véhicules, jusqu’aux dirigeants ! Beaucoup de collaborateurs à l’ingénierie et en dehors se sont enthousiasmés pour ce projet, ce qui a généré une très forte auto-motivation. C’est cela, aussi, qui fait la valeur d’une entreprise. La motorisation E-TECH, c’est une réussite un peu folle dont on peut tous être fiers.», Nicolas Fremau, expert chaîne de traction et hybride.
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